Pour une évolution de la Formation des Maîtres : une contribution des "Cachanais 65" proposée par François JARDAT
Les « Cachanais 65 »
Pour une évolution de la Formation des Maîtres
Mais quel est donc ce groupe d’une vingtaine de « nouveaux jeunes », tous entre 75 et 80 ans, qui se promènent, en ces beaux jours de la première semaine de septembre 2018, autour du Vieux Port de Marseille ? Après les visites de quelques-uns des superbes sites de cette ville, leurs discussions sont très animées. Leur démarche est parfois un peu lourde, mais il est certain qu’ils se connaissent tous très bien et ne manquent jamais de consacrer de longs moments aux échanges argumentés sur des sujets très variés.
Ce n’est pas étonnant. Ils ont l’habitude, en effet, de se retrouver tous les ans, durant cette même période de septembre, tous, fidèles à cette rencontre, et ce, depuis 1965 !!
Depuis 53 ans …. Le noyau de ce groupe est, en fait, une promotion d’élèves de l’École Normale Supérieure de Cachan (l’École Normale Supérieure de l’Enseignement Technique, à l’époque, et dorénavant, l'École Normale Supérieure de Paris-Saclay). Ces élèves ont préparé de 1961 à 1965 l’agrégation de physique appliquée. Rejoints par un normalien matheux de la même année, et par leurs conjoints, ils constituent un groupe très soudé de 10 familles.
Les conjoints, eux-mêmes souvent enseignants, d’autres promotions, d’autres disciplines, ayant préparé CAPES ou agrégation dans d’autres conditions, sont très actifs dans le groupe. Certains d’entre eux, en particulier, non normaliens, ont bénéficié de bourses pour préparer ces concours de l’enseignement dans le cadre d’Instituts de Préparation à l’Enseignement Secondaire (IPES), malheureusement supprimés dans les années 80. Au cours des discussions, un sujet revient souvent dans les propos des uns et des autres : la formation des jeunes. Ces retraités ont, presque tous, consacré toute leur vie professionnelle à l’enseignement et sont inquiets pour le devenir de l’Éducation. Ils ont le sentiment d’avoir bénéficié dans les années 60 d’un contexte très favorable au recrutement et à la formation des maîtres, qui a évolué, leur semble-t-il, de manière très négative depuis. A l’époque, il existait toute une filière pouvant conduire des jeunes, réussissant bien scolairement, vers une vocation d’enseignant, particulièrement s’ils étaient issus de familles pauvres ou rurales. Repérés par leurs maîtres, ils pouvaient passer, dès l’année suivant le brevet (15 ou 16 ans) un concours d’entrée dans une École Normale d'Instituteurs ou d'Institutrices (ENI) du département. Ces concours, particulièrement sélectifs pour les milieux ruraux, recrutaient les élèves-maîtres des ENI. Celles-ci formaient les Instituteurs, après 4 années d’études très complètes et bien encadrées, durant lesquelles les élèves passaient le baccalauréat et bénéficiaient de nombreux cours et stages pédagogiques dans des écoles primaires, avec des tuteurs. Elèves-instituteurs, ils étaient alors pris en charge par l’État jusqu’à leur premier poste, et signaient un engagement décennal pour l’enseignement. A partir de 15 ou 16 ans, ils ne coûtaient plus rien à leurs parents.
Mais leur vocation pour l’enseignement ne s’arrêtait pas là. S’ils faisaient partie des 10% meilleurs de leur promotion, ils pouvaient obtenir une bourse leur permettant de préparer, durant 2 ans, le concours d’entrée dans une École Normale Supérieure ou dans les IPES, où ces élèves-instituteurs retrouvaient des élèves provenant de formations plus classiques. Mais, leur niveau, ainsi que les excellents enseignants qu’ils avaient eus dans les ENI, leur permettaient souvent de réussir aux concours.
Ainsi, parmi ce groupe des « Cachanais 65 », plusieurs d’entre eux, issus de milieux modestes, n’auraient pu prétendre à des fonctions de responsabilités, s’ils n’avaient pas bénéficié de l’ascenseur social que constituait la filière de formation des maîtres.
Et c’est ainsi, qu’après l’année de l’agrégation en 65, les « Cachanais 65 » et leurs conjoints enseignants, ont tous occupé des postes dans différents établissements d’enseignement technique, ou secondaire, IUT, CPGE, enseignement supérieur, pouvant parfois assumer d'importantes responsabilités dans différents secteurs : Inspection Générale, Direction de Laboratoires de Recherche, d’Instituts, animation pédagogique, …. Tous se sentaient une fibre enseignante qui a piloté leur carrière. Et ils ont des difficultés à admettre que les nominations d’enseignants mettent aujourd’hui en place des personnes, parfois venues par défaut à ce métier, peu souvent issues des milieux ruraux, contrairement aux années 60. Ils se demandent comment on en est arrivé à ne pas avoir assez de candidats tout juste convenables à des concours comme le CAPES ou l’agrégation. Ceux-ci attiraient un très grand nombre de candidats, dans les années 60 et demeuraient toujours très sélectifs.
Certes, le contexte sociétal a complètement changé en une cinquantaine d’années et l’abandon successif des ENI, puis des IPES, ont fortement pénalisé le recrutement et la formation des maîtres. Mais, ne peut-on pas reconstituer des filières, tout au moins partielles, pour remonter la pente ? Il en va de l'avenir de notre jeunesse dans les prochaines décennies. Les réponses à beaucoup de problèmes sociétaux graves pourraient s’en trouver améliorées. Il serait, par exemple, sûrement possible de motiver pour l’enseignement, après le bac, des étudiants de bon niveau, particulièrement parmi ceux provenant de milieux défavorisés, en créant l’équivalent des IPES, comme le proposent déjà certaines personnalités. De tels cursus, en insistant particulièrement sur la didactique des disciplines, la pédagogie en général, prépareraient ces futurs enseignants aux contraintes liées aux situations sociétales dans les milieux difficiles.
Ne pourrait-il pas y avoir, aussi, des expérimentations, dans quelques milieux sensibles, d’un équivalent des ENI, avec des jeunes prometteurs, pris en charge dès le passage du brevet ? Ces jeunes, souvent issus de ces milieux sensibles ou ruraux, auraient ensuite, respectant un contrat décennal et au-delà, durant leur carrière d’enseignant, un rôle très positif de modèle, dans le milieu dont ils sont issus. Les instituteurs des ENI jouaient un tel rôle, souvent, dans leurs communes, dans un environnement, bien sûr, très différent. De telles opérations auraient, sûrement, le mérite de susciter, à nouveau, des vocations d’enseignants, actuellement trop rares, et aussi de rééquilibrer vers les matières scientifiques les nouvelles promotions des professeurs des écoles. Et le recrutement et la formation des maîtres pourraient retrouver un certain rôle naturel d’ascenseur social dans un pays en pleine recherche de nouvelles motivations. Dans cet esprit, la mise en place d'un « pré-recrutement », avec rémunération, d'une partie, au moins, des futurs enseignants, semble constituer une mesure indispensable, dans un avenir le plus proche possible.
En tous les cas, les « Cachanais 65 » applaudiront vigoureusement toutes les évolutions, par rapport à la situation actuelle, qui rapprocheraient la formation des maîtres de celle des années 60. Avec le recul, le système d’alors, dont ils ont bénéficié, apparaît comme un véritable « âge d’or » de la préparation aux métiers d'enseignement.
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